Pas un jour sans que les médias ne diffusent des images d’intempéries extrêmes, inondations, sécheresses, incendies, tornades, cyclones… attribuées unanimement à l’effet de serre du gaz carbonique fossile, injecté massivement par l’Humanité dans l’atmosphère, depuis la Révolution industrielle, il y a deux siècles. Comment en sommes-nous arrivés là ? Et où nous faut-il aller ?
La Terre est née il y a 4,6 milliards d’années au cœur de la nébuleuse solaire, par accrétions de débris d‘étoiles, pulvérisées lors de leur effondrement final (supernovæ). Porté à une température extrême par la contraction gravitationnelle et les collisions, l’agglomérat initial fond et se structure sphériquement par densités : au cœur, un noyau métallique lourd (Fe, Ni, Or, Uranium…) ; autour, un manteau très épais de silicates ; à la périphérie, un magma de 1 000 km d’épaisseur, mélange de gaz et de lave dont va s’extraire l’atmosphère primordial, fait de vapeur d’eau (80 %), de CO2 (15 %) et d’azote (5 %). En se refroidissant, la vapeur d’eau se condense en océans et forme l’hydrosphère.
La Vie est apparue, il y a 3,5 milliards d’années, dans les eaux superficielles, sous la forme de microorganismes, les cyanobactéries. Pour survivre et se reproduire, elles maîtrisent la photosynthèse qui, grâce à l’énergie solaire, transforme le mélange de gaz carbonique et de vapeur d’eau en sucre nourricier carboné et en libère l’oxygène. Pendant trois milliards d’années, le Vivant va oxyder le fer océanique, puis oxygéner l’atmosphère pour aboutir, il y a 500 millions d’années, à l’air actuel, fait d’azote et d’oxygène. La vie aérobie peut alors y exploser.
Mais l’atmosphère reste une pellicule gazeuse hyperfine où se rencontrent deux énergies énormes, dans un équilibre fragile. Venant des profondeurs, le volcanisme, né de la fission nucléaire de trois atomes, peut à tout instant secouer ou perforer la croûte terrestre et la ravager. Venant du cosmos, outre le choc des météorites, les éruptions de la fusion de l’hydrogène dans le cœur du soleil menacent la biosphère, même protégée par sa couche d’ozone et de sa magnétosphère. Enfin, les fluctuations naturelles de l’orbite terrestre lui infligent des chauds-froids périodiques éprouvants.
Le Vivant a ainsi dû survivre à cinq extinctions majeures, la première (- 450 Ma) due à une glaciation quasi-complète, la dernière (- 65Ma) au choc d’un énorme météorite (Yucatan) fatal aux dinosaures. Pour survivre jusqu’à nos jours, il n’a cessé, par photosynthèse, d’extraire le CO2 excédentaire de l’atmosphère pour y maintenir un effet de serre lui assurant une température moyenne favorable (15°C). Pour le stocker à long terme, il a exploité la gravité et la géothermie pour enfouir et fossiliser ses débris végétaux et animaux carbonés, tombés sur le sol et le fond des océans. A la veille de la Révolution industrielle, le Vivant a ainsi accumulé environ 14 millions de milliards de tonnes (GT) de carbone dans la lithosphère, pour n’en laisser que 750 GT dans l’atmosphère.
Lorsque l’Homme apparait, il y a 2 millions d’années, il est soumis aux fluctuations climatiques… jusqu’à ce qu’il maîtrise le Feu, il y a 400 000 ans. C’est la plus importante avancée technologique de l’Humanité. Par la cuisson, il améliore profondément son alimentation, il augmente sa capacité cérébrale. Par sa chaleur et sa lumière, il fait reculer la nuit, le froid et les prédateurs. Il rassemble autour des foyers. Par les hautes températures du charbon de bois, l’Homme découvre la métallurgie.
Cependant, jusqu’au 18eme siècle, l’Homme reste dépendant de sa seule force physique et de celle de ses animaux domestiques pour cultiver, se déplacer et construire son habitat. Il n’a pas encore compris « la force du feu ».
C’est en Angleterre, pour assécher des mines de charbon dont l’extraction se révèle épuisante et dangereuse, que naît la première pompe à vapeur (1712). Puis Watt met au point un moteur à vapeur (1788), brûlant du charbon, actionnant un ensemble piston-bielle-manivelle entraînant une roue, directement utilisable pour se déplacer (locomotive), pour cultiver (tracteur), pour usiner (machine-outil), pour naviguer (steamers).
La révolution industrielle qui en résulte au XIXème siècle est fulgurante et déferle sur l’Europe, puis sur le reste du monde. En 1900, une seconde avancée se forme autour du pétrole et du moteur à explosion. Plus compact, il est au cœur de l’essor de l’automobile, puis, couplé à l’hélice, de l’aéronautique. Enfin, dans les années 1950, le gaz naturel extrait en même temps que le pétrole est distribué à l’échelle mondiale pour la production d’électricité, la chimie, mais aussi le chauffage et la cuisson.
Globalement, la consommation d’énergie primaire mondiale en 2023 a atteint 15 Gtep (milliards de tonnes équivalent pétrole) dont 80 % est fossile, pour une population mondiale de 8 milliards d’habitants. Elle était en l’an 1800 de 300 Mtep (millions de tonnes pour équivalent pétrole) pour 1 milliard d’habitants. Dans cette période, le taux de CO2 dans l’atmosphère est passé de 280 à 420 ppm (partie par million), sous l’effet de l’émission de plus de 2600 GTep de CO2 d’origine fossile, soit des millions d’années de photosynthèse enfouie par le Vivant pour en protéger l’atmosphère… et qui y ont été réinjectés en deux siècles par l’Homme !
Or, pour un taux de CO2 équivalent, dans une période comparable du Pliocène, il y a 2 millions d’années, les pôles étaient couverts de forêts et le niveau des mers plus haut de 20m. Les scientifiques ne prennent conscience de la bombe climatique ainsi déterrée qu’à partir de 1970 lorsque des carottages profonds en Antarctique confirment, sur 1 Ma, la relation entre le taux de CO2 et la température moyenne (Jean Jouzel,1987). Le GIEC est créé en 1988. Dès 2000, il est scientifiquement confirmé que l’Humanité a brutalement perturbé un mécanisme fragile nécessaire à la vie qu’elle n’avait pas compris et qu’il lui faut maintenant restaurer. En 2015 à Paris, la COP 21 aboutit à un accord pour contenir à 2°C le réchauffement. En 2024, face à la recrudescence d’intempéries extrêmes et des températures records : « décarboner d’ici 2050 » devient un objectif planétaire affirmé… mais que faire ?
Sobriété et efficacité énergétique sont à mettre en œuvre immédiatement. Leur potentiel d’économie est considérable sur la consommation (- 20 à – 30 % de consommation d’énergie primaire) dans les pays développés, mais elles se heurtent à une expansion démographique persistante (+ 80 à 100 millions d’habitants par an) dans des pays qui n’ont que le charbon.
Simultanément, pour amortir le choc de l’arrêt du fossile, les efforts doivent porter en priorité sur la production de gaz vert (biomasse) pour le substituer au gaz fossile, sur la capture partout du CO2 dès l’émission et sa séquestration, sur l’approfondissement des forages pour mieux extraire la chaleur géothermique, sur l’exploitation des gisements espérés d’hydrogène naturel.
Au-delà, une consommation d’énergie décarbonée et quasi toute électrique constitue l’objectif majeur pour 2050. Il est approchable dans les pays développés en combinant : l’hydroélectricité, idéale car renouvelable, permanente, puissante, pilotable, mais limitée par la raréfaction des sites ; l’éolien et le solaire, inépuisables mais intermittents donc nécessitant le soutien de centrales à gaz ; enfin et surtout, l’électronucléaire hérité des décennies précédentes (EPR à neutrons lents), compact, pilotable, sécurisé, décarboné et surpuissant, mais épuisable (uranium 235) et générateur de déchets radioactifs persistants.
Atteindre le tout-électrique en 2050 est d’autant plus important qu’il conditionne l’accès à la production massive d’hydrogène par électrolyse. Or, l’atome d’hydrogène est le seul vecteur d’énergie chimique capable de remplacer l’atome de carbone. Sa ressource, l’eau, est illimitée et non polluante. Il est utilisable en substitut direct au gaz naturel, et à l’essence dans les moteurs à explosion. Il est directement transformable en électricité dans une pile à combustible.
Il faut donc revigorer l’électronucléaire. En France, nos dirigeants viennent enfin de se ressaisir en relançant les EPR simplement nécessaires au remplacement des PWR actuels. Mais il faut aussi lui redonner un avenir en relançant la seule filière nucléaire durable, les réacteurs à fission par neutrons rapides (RNR). Nous en avons été les pionniers (avec le supergénérateur Superphénix, de 1970 à 1997). Nous avons amassé plusieurs millénaires d’uranium naturel pour les alimenter. Nous avons dû les brader sous l’empire du carbone fossile et de son « proxy », l’écologie politique d’alors. Mais nous en avons toujours les technologies. Ils sont la solution pour assurer durablement le tout-électrique décarboné qui nous est nécessaire d’ici 2100. Nous pourrons alors attendre sereinement que la fusion nucléaire contrôlée de l’hydrogène (Laser ; ITER ?) vienne enfin apporter à l’Humanité, comme elle le fait dans tout l’Univers, la solution définitive pour une énergie inépuisable, puissante, sûre et propre.