La grande agence de notation américaine Standard & Poor’s vient de se prononcer : elle a fait reculer, à nouveau, notre pays d’un cran, lui attribuant cette fois la note AA-. Et, de leur côté, les ministres de l’Economie de la zone euro, au grand dam d’Emmanuel Macron, ont remis en vigueur les règles de fonctionnement des pays de la zone euro : il va nous falloir dorénavant les respecter scrupuleusement. Le temps du « quoi qu’il en coûte » est bien achevé : on nous avait donné trois ans pour porter notre déficit budgétaire à moins de 3 % du PIB. Il va donc nous falloir effectuer, d’ici à 2027, 70 à 80 milliards d’euros d’économies, et nos partenaires européens, sachant que nous sommes un pays particulièrement indiscipliné, nous ont mis sous surveillance.
Mais où les trouver ? Cela semble poser beaucoup de problèmes à nos dirigeants, d‘autant que nous avons déjà commencé à dériver par rapport à la trajectoire que Bercy s’était tracée. Nous avons montré, dans d’autres articles, que c’est avant tout dans le domaine des dépenses sociales qu’il conviendrait de rechercher les économies à réaliser : il s’agit d’un très vaste domaine d’intervention de l’Etat qui a représenté 850 milliards d’euros en 2022, un domaine où nous sommes en excès par rapport à tous les autres pays. Nous en sommes à 32,2 % du PIB, alors que ce pourcentage est de 27 %, en moyenne dans les pays européens, et de 21,1 % seulement dans l’ensemble des pays de l’OCDE. Il s’agirait donc de réduire nos dépenses sociales de 123 milliards d‘euros si l’on voulait simplement s’aligner sur la moyenne européenne, et de les diminuer de 263 milliards si l’on voulait être aux normes de l’OCDE !
Nombreux sont ceux qui pointent plutôt leur doigt sur un mal français bien connu : le « trop plein » de fonctionnaires.
C’est une antienne qui remonte à Saint Just, nous dit Emilien Ruiz qui est professeur à Sciences Po. Dans les cercles libéraux, tout spécialement, on entretient volontiers l’idée que le mal, dans notre pays, viendrait d’un excès du nombre des fonctionnaires, des agents publics que l’on qualifie volontiers d’« incompétents », d’« inamovibles », de « ronds de cuir »…. ; et on se plaint de ce que leur nombre augmente chaque année.
Sur le site Contrepoints, par exemple, Claude Goudron dans un article en date du 28 janvier 2022, nous dit : « La France a 2 millions de fonctionnaires de trop, et ils ont un temps de travail inférieur de 30 % à celui des Allemands ». Cette opinion se retrouve chez une majorité de Français : un sondage de CSA pour CNews, en date du 21 octobre 2021, a montré, en effet, que 53 % des Français répondaient par « oui » à la question : « Y a-t-il trop de fonctionnaires en France ? ». C’est bien, là, une obsession française. Il faut donc voir ce qu’il en est, précisément.
La France a-t-elle trop de fonctionnaires ?
On désigne par « fonctionnaire », habituellement, tous les agents des services publics ; ils ne sont pas tous « fonctionnaires », c’est-à-dire des agents bénéficiant d’un statut privilégie d’emploi à vie. Ce qu’il faut examiner, ce sont les effectifs de l’ensemble des agents publics qui sont en poste dans les différents pays européens. En France, leur effectif se montait à 5.674.000, fin 2021, (hors contrats aidés), dont 66,5 % bénéficiaient effectivement d’un emploi à vie ; et il s’est agi, en 2022, pour la nation, d’un budget de 130 milliards d’euros.
Le problème, pour faire des comparaisons, est que les définitions de la « fonction publique » ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre : le plus sûr est donc de se fier à l’OCDE qui a publié dans ses rapports « Government at a glance » des données en « pour cent » de l’emploi total. Nous donnons donc, ci-dessous, les estimations fournies par l’OCDE pour l’année 2021, en mettant en regard les PIB/capita des pays :
La première remarque à faire est que le pourcentage d’emplois publics semble croître avec le niveau de développement économique des pays : on en est à 11 % dans le cas du Chili, à 21 % dans celui de la France, et à 28 % à 30 % dans le cas des pays ayant des PIB/capita très élevés. Il semblerait que l’on puisse en conclure que le fait d’avoir des taux élevés d’emplois publics, c’est-à-dire de personnes travaillant pour l’Etat, ne conduise pas nécessairement à la dégénérescence d’une économie ; et ce constat s’inscrit en faux par rapport aux thèses soutenues par les libéraux. Les chiffres, certes, varient beaucoup, d’un pays à l’autre car dans l’enseignement et dans le secteur hospitalier les parts relatives des secteurs publics et privés varient considérablement d’un pays à l’autre, selon la façon dont chacun conçoit la société.
Les données ci-dessus conduisent à la corrélation suivante :
On voit que la France se situe très légèrement au dessus de la droite de corrélation, mais la corrélation n’est pas parfaite (coefficient de 0,6 seulement). Toutefois, si on utilise l’équation de la droite on voit que pour le PIB/capita qui est le nôtre, on devrait se situer à un ratio de 20,6 %, soit un écart de 0,5 % seulement par rapport au taux constaté, ce qui signifie que seulement 650 millions d’euros d’économies seraient à réaliser dans ce domaine, ce qui est très peu.
Il semblerait donc bien que, contrairement aux croyances générales, nous n’ayons pas trop de « fonctionnaires » en France. Il est normal que leur nombre augmente à mesure que l’économie du pays se développe. L’augmentation, depuis 25 ans, a été de 40.000 agents par an, en moyenne. Ce n’est donc pas, là, que se situent les gisements d’économies recherchés, d’autant que les Français se plaignent sans cesse de l’insuffisance des effectifs, notamment dans les hôpitaux, dans l’enseignement, dans le domaine de la justice, dans la police… Et, à présent, avec la guerre en Ukraine, dans l’armée.
La productivité des services publics en France
Nous venons de voir nous avons, en France, un effectif d’agents publics qui semblerait correspondre correctement au niveau de richesse du pays. Les Français sont néanmoins très critiques vis-à-vis de leurs administrations publiques, car ils trouvent tous ces services inefficaces : il est évident qu’il faut tonifier la gestion de ces personnels. Nous donnons, ci-dessous, quelques exemples de dérives par rapport au secteur privé :
L’augmentation de la productivité des agents publics semble être une tâche insurmontable, dans notre pays. L’Etat s’en préoccupe, évidemment, mais avec des résultats qui tardent à se manifester. Dès 1947 a été créé l’ « Institut technique des Administrations publiques », et, plus récemment, a été lancé « Services plus », un vaste programme d’amélioration continue des services publics animé et piloté par la DITP (Direction Interministérielle de la Transformation Publique). Il y a eu aussi la loi Essoc du 10 Aout 2018, dite « Loi pour un Etat au service d’une société de confiance ».
Dans les faits, peu de choses bougent, alors que d’autres pays n’ont pas hésité à prendre des mesures drastiques, ce que l’on semble incapable de faire dans notre pays.
Des pays comme la Suède, le Danemark, la Nouvelle-Zélande, ou le Canada ont supprimé les emplois à vie, réservant ce régime de faveur à seulement une infime minorité d’agents.
Quant à la Suède, elle a créé le « chèque éducation » en 1992. Ce système révolutionnaire est l’exemple même d’une mesure qui change tout. Il concerne les enfants de 7 à 17 ans : les parents qui ne veulent pas inscrire leurs enfants dans un établissement public reçoivent de la part de l’Etat un chèque qu’ils vont remettre à l’établissement privé qu’ils auront choisi. Ce système a été instauré pour « pousser les écoles à l’excellence » : ces écoles sont totalement libres de déterminer leur pédagogie, et elles sont autonomes en matière de gestion. Il s’est ainsi développé un grand nombre de « Friskolar » qui se font concurrence, et les résultats sont excellents. Ce système a été défendu par Milton Friedman, et l’OCDE a publié, en 2017, un rapport pour le promouvoir. En France, l’IREF en a vanté les mérites « Toute ressemblance avec la France a disparue ».
France-Stratégie s’est attachée à démystifier le cliché disant qu’« il y a trop de fonctionnaires en France », et, le 21 décembre 2017, cet organisme, qui a pris le relai de notre ancien Commissariat au Plan, a publié une étude démontrant qu’il n’y a pas « trop » de fonctionnaires en France » : 88,5 emplois publics pour 1.000 habitants, contre 60 en Allemagne et 65 aux Etats Unis, mais 140 au Danemark et 160 en Norvège. Cette étude concluait : « Le nombre des fonctionnaires n’est pas excessif : la France est dans la moyenne haute ». Et nous venons de démontrer qu’elle est, en fait, tout à fait dans la moyenne. Il reste à améliorer considérablement la productivité de tous ces personnels !